Il serait erroné de croire que l’écriture de soi est un genre littéraire, puisqu’un auteur peut se raconter à travers d’autres modes et d’autres pratiques d’écriture dont on peut citer le journal qui s’intéresse à montrer l’intimité et permet à son écrivain d’éviter l’oubli et l’inexactitude. Dans le journal, la marque des jours n’est pas effacée par la rédaction, mais au contraire soulignée par le discontinu de l’écriture, et même par l’inscription de la date. Les mémoires dont le rédacteur est une personne importante, jouant un rôle remarquable dans l’Histoire. Ce dernier met à l’écart sa vie personnelle et « relate les événements historiques auxquels il a pris part en tant qu’acteur ou témoin ». Les mémoires sont proches des souvenirs où l’auteur a pour objectif de présenter aux lecteurs, des événements dont il est le témoin. Aussi y a-t-il la confession dans laquelle un pénitent raconte sa conversion, sans oublier les carnets qui « se fondent sur des épisodes de l’existence, sur des expériences précises pour en tirer des préceptes, des analyses générales, des maximes ou des aphorismes ». Avant tous ces modes de l’écriture de soi, vient l’autobiographie, composée de trois parties : auto (soi-même), bio (vie), graphie (écriture). Elle n’a cessé d’envahir le champ littéraire au point que les Français y ont consacré une ville.
Il est inévitable de jeter un coup d’œil sur l’évolution historique de l’autobiographie. Celle-ci était inconnue dans l’antiquité qui considère la confidence comme un tabou. Il faut attendre la Renaissance, distinguée par son individualisme, pour que le genre progresse et s’épanouisse au XVIIe siècle avec des œuvres comme les Mémoires de Marguerite Valois. Mais c’est Rousseau qui a donné naissance à l’autobiographie moderne ; cette dernière a commencé à fleurir au XIXe siècle et à se répandre dans le monde entier et particulièrement en France, avec d’innombrables œuvres dont nous citons à titre d’exemple : La confession d’un enfant du siècle de Musset (1835) et Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand (1848-1850). Au XXe siècle, les autobiographes se mettent à révéler leurs secrets tout en brisant les anciens tabous imposés par les mœurs et la religion. Dès 1970, l’autobiographie a pu devenir un genre légal ayant des critères précis, défini par Philippe Lejeune : « Récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » Aussi a-t-il présenté le pacte autobiographique en vertu duquel il y a un contrat de crédibilité entre l’auteur et son lecteur, apte à examiner les informations citées dans l’œuvre. Lejeune affirme que « pour qu’il y ait autobiographie (et plus généralement littérature intime), il faut qu’il y ait identité de l’auteur, du narrateur et du personnage ». Ainsi ce pacte oblige l’écrivain à s’avouer et à dire tout, en respectant la vérité.
Malgré tout ce qui précède, l’autobiographie est étroitement liée à la fiction parce qu’il est impossible de représenter le moi d’une façon totalement objective. Personne ne peut raconter sa vie sans évoquer celle des autres. Serge Doubrovsky, soucieux de ménager sa mère, n’a-t-il pas publié Fils qu’après sa mort ? Ce qui a poussé les auteurs à réinventer leur vie, changer de noms et de lieux, mêler l’autobiographique au romanesque. Par conséquent naît l’autofiction, plus efficace que l’écriture de soi traditionnelle. Bien que le texte contienne des indices autobiographiques, il est considéré comme un roman où « l’écrivain se retire de la vie pour mieux l’exprimer ; il se situe alors dans une sorte de non-lieu puisqu’il se confie à l’univers imaginaire de l’écriture pour représenter la réalité dont il s’éloigne ». Donc, c’est l’univers imaginaire qui domine et offre une vie plus réelle. « En Amérique est apparu le mot valise-faction pour désigner un mixte de ʻʻfact ʼʼ et de ʻʻ fictionʼʼ ».